Soirée contes par Contemuse

19 septembre 2020 | sur le thème de la bénichon

La fête de la Bénichon – synonyme aujourd’hui de repas copieux, de danse et de fête foraine – a une origine religieuse. Le mot Bénichon qui vient du mot latin benedicto, en français bénédiction, correspond à l’anniversaire de la bénédiction de l’église, autrement dit à la fête de la dédicace de l’église paroissiale.

Une fête trop… festive !

Cette fête religieuse était suivie d’une partie festive profane, fort ancienne, puisque la plus ancienne mention connue apparaît dans une ordonnance de Leurs Excellences de Fribourg datée du 23 septembre 1443, qui fait état de troubles occasionnés par les vagabonds aux « benissions ».

C’est d’ailleurs le problème récurrent des autorités : la fête profane prend trop d’importance. Précisons que la fête durait trois jours, du dimanche au mardi et les paroissiens ne fêtaient pas seulement leur Bénichon villageoise, mais se rendaient également dans les villages avoisinants, multipliant ainsi les jours chômés. De plus, il n’était pas rare que des communes fêtent plusieurs Bénichons, comme à Gruyères où l’on fêtait celle de Saint-Théodule et celle de Saint-Jean ou à Fribourg, où chaque paroisse avait sa Bénichon. Pour limiter le nombre de fêtes, une première ordonnance fut édictée en 1742, qui n’autorisait qu’une seule dédicace par village. Mais cette ordonnance ne suffit pas à satisfaire les autorités qui en édictèrent une autre cinq ans plus tard, qui marque d’ailleurs l’origine de la Bénichon telle que nous la connaissons encore aujourd’hui. En effet, en 1747, il est décidé que chaque paroisse continuerait à fêter la dédicace de son église de manière religieuse, mais que dorénavant, la fête de la Bénichon, c’est-à-dire les réjouissances profanes, se ferait uniquement le deuxième dimanche de septembre, « auquel jour seulement il sera permis de danser et se divertir, quoique avec modération, tant sur les places publiques que dans les cabarets et bouchons[1], et dans les endroits où se vend ordinairement du vin ». Hormis ce jour, plus question d’avoir la permission de danser !

Cette ordonnance eut un effet limité : les Fribourgeois ne renoncèrent pas facilement à ces jours de fête. Et il faut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que les Bénichons se fassent à date fixe, tout en maintenant les exceptions que l’on connaît aujourd’hui. De nouvelles ordonnances rappelèrent les anciennes. En 1883 encore, un rapport de la police de ville de Fribourg rapporte qu’à chaque Bénichon de quartier les « jeunes gens de toute la ville se donnent rendez-vous sur les places de danse et pendant plusieurs jours nos rares ateliers, fonderies, cartonnage, chôment faute de bras… »[2]

Ces interdictions n’allaient d’ailleurs pas toujours sans problème. En 1889, le gouvernement interdit toute danse le dimanche, y compris celui de la Bénichon. A Bulle et à Estavayer, les jeunesses passèrent outre et montèrent les ponts de danse. Les gendarmes intervinrent, la fête dut arrêter, mais, face à l’hostilité grandissante de la population, les autorités firent marche arrière et dès l’année suivante, la danse resta interdite, excepté les jours de Bénichon.

La plaine ou la montagne?

En 1889, on fixe la Bénichon « de la montagne » au deuxième dimanche d’octobre : cette date concerne dès lors les villages de la Gruyère, ainsi que quelques villages de la Sarine : Treyvaux, Le Mouret, Arconciel, Senèdes, Ependes et Marly. D’autres villages gardent néanmoins leur particularité et le calendrier des Bénichons va de Carnaval (Broc) au 31 décembre (Saint-Sylvestre). Le Recrotzon est fêté la semaine qui suit la Bénichon, sauf pour les villages de la plaine qui le fêtent 15 jours plus tard, pour ne pas coïncider avec le Jeûne fédéral.

La fête de la Bénichon prend dès lors une nouvelle dimension : elle marque la fin des travaux des champs pour la Bénichon de septembre, et le retour des troupeaux en plaine après un été passé à la montagne, pour la Bénichon d’octobre. C’est d’ailleurs le lundi de Bénichon que l’on payait traditionnellement l’armailli qui avait passé l’été avec le troupeau en montagne. Le repas marque le moment des retrouvailles et la famille au sens élargi du terme se retrouve autour de la table. Les plats se succèdent selon un ordre bien établi. Mais il serait faux d’y voir une tradition figée, car le menu a évolué et on y trouve des variantes suivant les régions. Néanmoins, la tradition de partager un repas important à la fin des travaux se retrouve dans toutes les sociétés pastorales et il n’est donc pas surprenant qu’il soit aussi copieux.

Un menu gargantuesque

La plus ancienne mention du menu, tel qu’on le connaît aujourd’hui, se trouve dans un feuilleton journalistique intitulé Idylle gruérienne, paru dans le journal Le Confédéré en 1852. Mais l’on sait que les différentes parties du menu sont connues depuis plus longtemps [3]. On fumait déjà des jambons à la borne au XVIIe siècle à Fribourg, la poire à botzi est une variété fribourgeoise dont la plus ancienne mention date de 1744 et on trouve une mention de la cuchaule en 1558 déjà ! La moutarde de Bénichon, si elle n’apparaît sous cette appellation de façon systématique que depuis le début du XXe siècle, est connue auparavant sous le nom de « moutarde aux épices » ou « moutarde de table ». La meringue n’est pas typiquement fribourgeoise, même si, associée à la double crème, elle évoque le dessert de la Bénichon. Quant aux friandises qui terminent le repas, croquets, bricelets, pains d’anis, beignets et cuquettes, elles sont attestées dès le XIXe siècle. Seuls les bricelets sont connus depuis fort longtemps, puisque la plus ancienne mention parle d’ « Ung fer pour fere le bresie » en 1552 déjà.

Tout au long du XXe siècle, le menu de la Bénichon se perpétue selon la tradition. Le fameux menu de Tante Marthe marque la version écrite du repas. Entre les menus proposés dans les restaurants et les traditions familiales, les variantes sont nombreuses. Si le jambon reste la star du menu, les autres plats de viande connaissent différentes versions : bouilli, ragoût de mouton, gigot de mouton ou Vorässe (abats de mouton). Le menu a également évolué face à la modernisation des cuisines et des moyens de conservation. Autrefois, les légumes (choux, carottes, carottes rouges, haricots…) venaient du potager familial, le cochon qu’on avait engraissé tout l’été était tué à l’automne et on fumait saucissons et jambons. De même, on élevait un mouton pour l’occasion.

Une tradition en perpétuelle évolution

Aujourd’hui, la Bénichon est toujours une fête traditionnelle que les Fribourgeois apprécient et réinventent. Course de charettes à foin à Charmey, marché artisanal et cortège à Châtel-St-Denis, foire de la Bénichon à Romont, tir à Fétigny, Vernay ou Rueyres-les-Prés, marché folklorique à Ecuvillens, tracto-bénichon à Corserey ou même lancer de la cuchaule – ou du moins une reproduction en épicéa – à Attalens, les fêtes de la Bénichon innovent. Si de nombreuses familles perpétuent la tradition du repas dominical, d’autres alternatives gustatives remportent du succès : de nombreux restaurants proposent le menu de Bénichon, mais également de grands repas sont organisés : la « Grande Bénichon » organisée en 2007 à Forum Fribourg a permis à 3’000 personnes d’y prendre part ; en 2008, 200 convives se sont réunis à l’Institut agricole de Grangeneuve ; au Salon des Goûts et Terroirs 2009, un restaurant de 120 places a accueilli des convives pendant la durée du Salon ; à Lentigny en 2009 plus de 400 personnes ont participé au repas de Bénichon à l’ancienne organisé dans le cadre du centenaire du Chœur St-André d’Onnens. Chaque année, des Associations de Fribourgeois du dehors organisent des rencontres autour du repas de Bénichon. Le succès de ces manifestations montre à quel point les Fribourgeois sont attachés à la Bénichon. Et, par leur site dynamique et vivant, les enseignants fribourgeois participent à cet engouement et font perdurer cette fête ancestrale.

Anne Philipona

Source : Petit historique de la Bénichon